En arrivant sur la planète de l’assemblée, elle avait regardé Lee s’éloigner avec un petit pincement au cœur. Car elle savait que jamais il ne lui pardonnerait ce qu’elle s’apprêtait à faire et qu’elle ne le reverrait probablement pas. Dieu qu’elle détestait se retrouver ainsi face à des choix impossibles.

Pourtant, elle avait voulu croire en lui, croire que le côté du bien était assez fort pour lutter contre le mal. Elle avait voulu de cette vie en faisant le bien. Oui, elle avait essayé chaque jour depuis son arrivée en Crépuscule. Elle était devenue l’alliée de Lee, avait fait de son mieux pour l’aider à la hauteur de ses moyens. Elle voulait se raccrocher à ses bonnes actions, faire le bien elle aussi. Mais, il arrive un moment où il faut arrêter de se voiler la face. La seule façon efficace de lutter contre le mal, c’est par le mal…

Elle a un instant hésité à essayer de convaincre Lee de rejoindre sa cause, mais il semblait si excité par ses projets, si obnubilé par faire le bien qu’il ne voyait pas le mal qui s’enracinait profondément dans la galaxie. Pire, il semblait finalement complaisant à laisser ce mal s’étendre… Elle ne pouvait laisser faire sans réagir. Lee voulait rester un homme de paix, un homme de bien coûte que coûte. Elle l’admirait pour cela. Mais elle, elle n’était pas une personne admirable.

De toute façon dès qu’elle avait lu le nom de l’expéditeur du com-x, elle avait su qu’elle était perdue, et qu’elle ne saurait rien LUI refuser. Surtout lorsqu’IL lui a rappelé la cruelle promesse faite il y a si longtemps, une éternité, une autre vie.

Elle avait espéré qu’après tous ces cycles de silence, tous ces cycles où elle l’avait cru mort après les déclarations d’Olorin en assemblée, le lien serait moins fort, et qu’elle saurait résister à l’ombre. Il s’est avéré qu’il n’en était rien.

Elle déambule tristement dans les couloirs pour rejoindre son vaisseau personnel, profitant des derniers instants de calme avant l’ouragan qui va bientôt déferler et l’emporter Dieu sait où. A-t-elle peur ? A-t-elle honte ? A-t-elle des regrets ? Un seul, celui de perdre SON amitié.

Elle rejoint rapidement sa base commerciale du secteur 0 et commence les préparatifs pour recevoir son invité.

Elle tourne en rond dans la pièce, impatiente et stressée.

Au départ elle avait pensé faire préparer une grande table luxueuse et clinquante, avec argenterie, verres en cristal et tout le tralala. Mais, elle ne cherche à impressionner personne, elle reçoit simplement Aldi. Elle se rappelle quand ils avaient parlé de ce dîner il y a bien longtemps, il lui avait dit qu’elle pourrait cuisiner elle-même le repas, les Seigneurs étant résistants à tous les poisons, il ne risquait rien même avec la pire cuisine… Haha, ces cruels échanges lui ont tellement manqués !

Aussi étonnant que cela puisse paraître, elle n’a jamais eu l’occasion de passer du temps avec LUI en « vrai ». Ho bien sûr, ils se sont croisés quelques fois dans les rangs de l’assemblée de Paradoxe, mais, jamais ils n’ont eu l’occasion de discuter réellement en tête à tête, tous leurs échanges se faisaient à distance via com-x.

Elle se demande s'IL viendra vraiment. Car, cette promesse de dîner, traine depuis bien longtemps maintenant et a dû être maintes fois repoussée à cause d’événements plus terribles les uns que les autres. Et, on ne peut pas dire que la situation actuelle se prête tellement à ce type d’exercice.

Elle sent un nouveau fiasco de dîner poindre le bout de son nez. Elle aurait dû refuser, mais, une promesse est une promesse, pour LUI comme pour elle.

Et puis, elle a un paquet de questions qui attendent depuis une galaxie entière. Notamment, pourquoi est-IL si différent avec elle de ce qu’IL est avec les autres ? Ou, plutôt, la bonne question serait : Est-IL vraiment différent avec elle ou est-ce elle qui n’est pas faite comme tout le monde et interprète ses messages à sa sauce ? Ça lui ressemblerait bien à vrai dire, d’interpréter même le pire en bien ou vice versa, selon comme cela l’arrange.

Aujourd’hui, IL revient, expressément pour la voir, alors qu’il y a mille urgences avec sa réapparition. Alors qu’elle lui en a fait voir de toutes les couleurs en grognements et autres râleries, messages plus ou moins aimables comme elle sait si bien le faire.

Haaa, elle en a perdu des bons contacts suite à ses messages « adorables ». Mais pas LUI.

IL est toujours resté totalement impassible face aux cris et aux engueulades, IL l’a toujours protégée et défendue, du moins c’est ce qu’elle se plaît à croire.

Mais, pourquoi ? Pourquoi supporter tout cela ? Pour ses ressources ? Il existe des tonnes de guildéens qui pourraient lui obéir et le fournir sous la contrainte et la peur. Pourquoi s’encombrer de la plus pénible et sans doute pas la meilleure ? Son côté maso peut-être ? Le plaisir de l’entendre ronchonner à chacun de ses plans les plus abracadabrants ? Le plaisir de l’entendre dire non à chaque proposition ou presque pour finalement faire ce qui est demandé en grognognant ?

Ou alors, IL revient justement se venger cruellement et la faire souffrir pour tout ce qu’IL a dû endurer avec elle ? Oui, cela semblerait carrément plus cohérent.

Le bruit de la porte qui s’ouvre l’empêche de poursuivre sa réflexion.

Elle reconnaitrait entre mille cette ténébreuse silhouette qui s'avance silencieusement vers elle. Oui, décidément elle n'a vraiment pas été fabriquée comme tout le monde. Car à cet instant, alors que le monstrueux sourire d'Alderak commence à se dessiner sous sa capuche, et que le cruel murmure guttural s'entend, elle ne peut s'empêcher de sourire, sincèrement heureuse de le voir en vie.

Elle a envie de se précipiter dans ses bras, mais, quand même, ça ferait pas très très sérieux. Franchement, qui voudrait faire un câlin à un Seigneur de la Douleur ? C’est LE croquemitaine qui terrorise tout le village, pas un doudou réconfortant. Néanmoins, elle se sent instantanément mieux, rassurée, en sécurité en sa présence.

Elle se force à avancer vers LUI nonchalamment et lève la tête pour capter son regard.

Elle lui fait un clin d’œil et sourit.

Tout en parlant, elle tend la main pour le prendre par le bras, suspend son geste. Au fait, ça se touche un Seigneur de la Douleur ? C’est quoi le protocole ? Ho puis zut, c’est Aldi, après tout. Il va quand même pas la mordre pour ça ? Elle lui jette un regard en biais vaguement inquiète, hausse les épaules puis l'attrape pour le guider vers une petite table. Elle ne peut retenir un frisson au contact d’un bras fin et glacial.

Étrangement, au contact de ce bras chaud, Alderak reste stoïque. Elle ne l'avait jamais touché, et pourtant, il se comportait comme si cela était... normal.

Évidement elle rougit d’embarras et lui lâche aussitôt le bras.

Elle montre la petite table à deux pas d’eux.

Elle lui sourit d’un air faussement innocent, tout en se demandant s’il est tellement prudent de taquiner un Seigneur de la Douleur ? Car, s’il entre dans le jeu, nul doute que ses taquineries seront douloureusement bien plus cruelles que les siennes ? Mais, comme il ne semble pas encore très très vif depuis son arrivée, elle profite odieusement de son avantage.

Elle prend place à table sans attendre, et fait signe à un serviteur de remplir les verres d’un alcool typique de sa planète d’origine. Le couvert a été dressé simplement. Seul un vase en argent contenant une composition de roses noires et pourpres décore la table.

Elle attend qu’il s’assoie puis prend son verre.

Elle a un instant de doute.

En disant cela, elle réalise qu’elle est seule avec lui, et que si réellement il ne se nourrit que de douleur, c’est carrément pas bon signe pour elle. Surtout qu’après un si long exil, il doit être légèrement en manque… Le raisonnable voudrait qu’elle ralentisse sur les vannes plus ou moins drôles, mais, comme elle n'a jamais su être raisonnable… Puis de toute façon, il devait lui expliquer comment ça fonctionne ces histoires de douleur ! Faudrait pas qu’il se serve d’elle comme cobaye pour ses explications par contre...

Il faut bien reconnaître qu’il n’a pas tout à fait tort.

Il est bien plus facile de discuter de loin, par écran interposé avec un Aldi, que de se retrouver aussi près d’un Seigneur de la douleur à l’entendre parler de ses tortures préférées, tout en scrutant ses moindres faits et gestes carrément bizarres.

Bon, elle l’a cherché aussi, il l’avait prévenue, elle a insisté, faut assumer maintenant le dîner avec le grand méchant loup. Mais, elle va p’t’être regretter ses dîners précédents finalement… pas sûr qu’elle ressorte indemne de celui-ci.

Elle lui sourit avec un air de fausse candeur.

Elle affirme cela avec plus d’assurance qu’elle n’en a réellement (et sans doute un brin d'inconscience) car elle n'a aucun doute sur la cruelle inventivité des Seigneurs en général et d'Aldi en particulier pour trouver les plus douloureuses questions à poser. 

Elle lui lance un regard en coin, guettant une réaction quelconque à la mention du dernier mot mais préfère finalement enchainer sans attendre avec une question.

Tout en parlant, elle a fait un signe discret au serviteur pour qu'il apporte le premier plat.

Note pour plus tard : la prochaine fois, ne PAS s’assoir en face d’Aldi pour manger.

Elle imagine d’ici le slogan publicitaire :

Non mais sérieusement, il fait exprès c’est pas possible. C’est encore plus horrible que des coups de fouets c’est sûr.. Enfin, faudrait peut-être demander son avis à Nahnah ?

Elle essaie d’oublier la vision et les bruits en se concentrant sur les mots.

Comme toujours, Aldi fait son Aldi, c’est-à-dire qu’il parle beaucoup, donnant l’impression de savoir plein de choses que les autres ne savent pas mais sans jamais dire ce que c’est, ni de qui il parle. Malin quoi. Elle décide comme d’habitude de faire genre elle a tout compris même si, comme d’habitude, elle n’a rien compris et comme d’habitude elle va interpréter à sa façon comme ça l’arrange.

Elle ne peut retenir un sourire en voyant le serveur terrorisé galérer. Elle se reprend et enlève le sourire. Mince, mais qu’est-ce qui tourne pas rond chez elle ? Elle devrait avoir aussi peur d’Aldi que le serveur et le plaindre, le défendre ! Elle va vraiment finir par être aussi horrible qu’un Seigneur de la Douleur…

Elle fait glisser un bout de papier sur la table jusqu’à sa main, tout en le regardant, pensive.