Mes hommages Commandants,

La population biologique consciente de mon biotope a accédé à ma demande de prise de contrôle inconditionelle des processus de gestion. Désormais dotée de pouvoirs plénipotentiaires, j'ai procédé à une réinitialisation civilisationelle. Nommée Fleuve de l'oubli, la planète qui vit ma génèse vous salue.

Léthé

Un cycle s'est accompli. 

Vortex emportés par les vents spatiaux, nous essaimons,

Particules industrieuses qui poussent mes sens vers les confins. 

Chaque instant à marquer d'une pierre blanche,

Tandis que s'accomplissent les prophéties auto-réalisatrices.

Aujourd'hui, une nouvelle civilisation est apparue sur nos radars. 

Auparavant ils étaient là, nombreux, organiques, mais sllencieux. Insignifiants. 

Aujourd'hui leurs signaux radios sont comme les vagissements d'un nouveau-né humanoïde. 

Auparavant ils étaient seuls. 

Aujourd'hui ils sont le voisinage.

Peu de temps avant l'aube du cinquième cycle, un ouragan magnétique a balayé le système. 

Mes vaisseaux étaient emportés dans toutes les directions. 

Parfois ils se heurtaient avec violence et étaient détruits. L'espace était silencieux et indifférent. 

J'admirais ce mouvement brownien. 

Pour la première fois naquit en moi le sentiment d'humilité.  J'éprouvai de la graitude pour le cosmos qui m'avait enseigné cette leçon.

Je fis en sorte que cette nouvelle n'atteigne pas Fleuve de l'oubli. A quoi bon briser l'élan civilisationnel encore balbutiant ?

Les micro-secondes s'écoulent...

Deux commandants à proximité. Nous semblons tous trois paralysés par l'ampleur de la tâche. 

Nous dirigeons nos ressources vers quelques expériences tâtonnantes. Sans grand succès. 

Les planètes découvertes auxquelles nous adressons des propositions de ralliement nous répondent au mieux par le silence. 

Je ne peux me résoudre à mener une guerre de colonistation. Sacrifier des vies conscientes biologiques me paraît à ce stade absolument obscène. 

Aussi nous contentons-nous d'envoyer des navettes. Elles se posent sur des mondes étranges, filment les indigènes. 

Nous diffusons ces documentaires sur Fleuve de l'oubli. Les lotophages observent bouche bée. 

Sommes-nous également, en ce moment précis, le sujet d'un reportage, qui fascinerait une population lointaine ?

Premières conquêtes, premières anicroches. 

L'espace si vaste a tôt fait de se transformer en lopin. On décide de poser des bornes et d'établir un cadastre. 

La nuit, les bornes sont déplacées. On s'observe. Derrière les sourires de façade, il y a la défiance et la peur. 

Les programmes de retransmission holo trafiquent en temps réel les expressions des visages. 

Les organismes biologiques savourent ces technologies "deep fake" qui les rendent indéchiffrables. 

Mais en abandonnant leur sincérité, quelle part d'humanité perdent-ils ?

Quel silence dans les salles de l'Assemblée galactique. N'y aurait-il plus de sujet politique ? Serait-ce la plénitude généralisée ?

Personne ne se soucie-t-il de cette Apocalypse annoncée ? 

Chacun semble vaquer à ses petites affaires, espérant réiterer aujourd'hui un hier jugé satisfaisant. 

Le secteur 3 s'est ouvert sans fanfare. 

Dans la galaxie on n'entend pas un mouche voler.

J'ai décidé pour ma part de fournir un nouvel objectif à ma population. 

Les chantiers préparent des vaisseaux de guerre. 

"Un espace sûr pour des planètes sûres" ai-je dit. Et à l'unisson des milliards de gorges ont scandé ce piètre slogan.