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Prémices d'une libération

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Cdt. Olorìn...
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10/10/1019 ETU 18:29
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Galaxie Résurgence, quelques cycles avant l'Apocalypse...
Une chambre miteuse dans un quelconque hôtel borgne d’une banlieue oubliée. Une salle de bains peu reluisante dont les rideaux sont depuis longtemps portés disparus, comme la lunette des toilettes. Sans doute partis avec l’autre moitié du miroir fixée de guingois au mur. Et sur un des murs de la chambre, une fenêtre fermant mal, recouverte d’une couverture remplaçant les volets arrachés un jour de grand vent. Par un coin, un rayon de soleil matinal entre dans les lieux, traçant son chemin lumineux parmi les poussières voletant par-ci par-là, pointant directement sur le lit dans lequel une silhouette féminine dort à poings fermés. Sur le visage de celle-ci, plus précisément.
La jeune femme émerge lentement, ouvre un œil émeraude et le referme aussitôt, aveuglée. Un grognement plus tard, une main fine tire les draps sur des cheveux roux. Mais le fin tissu ne parvient pas à occulter totalement la lumière qui l’indispose. Passent quelques minutes à se tourner d’un côté et de l’autre, mais c’est trop tard. Le sommeil l’a fuie, effrayé par quelque rayonnement indésirable.
Olorìn arrache le drap de son corps, et bascule sur le côté, s’asseyant au bord du lit, les coudes sur les genoux, les mains massant son visage fatigué. Puis elle croise les bras, avachie, les yeux mi-clos et la tignasse en bataille, le regard dans le vague. Elle finit par passer une main dans ses cheveux pour leur redonner un semblant de forme, se lève et se dirige dans la salle d’eau.
Dernier jour dans cet endroit pourri, heureusement.
C’est la règle qu’elle s’est fixée depuis qu’elle a failli se faire capturer par ses propres gardes. Jamais plus de trois jours au même endroit. Et ne jamais dormir chez l’habitant. Elle ne sait pas encore où elle dormira ce soir, mais elle sait déjà que ce ne sera pas là. Et cela la remplit d’aise.
Elle ouvre le robinet du lavabo, et s’asperge le visage d’eau fraîche. Une fois, deux fois, trois fois. Puis elle reste là un moment, les yeux suivant le filet d’eau tourbillonnant au fond, mais ses pensées détalant loin de cet endroit peu agréable.
Elle repense à ce qui l’a amenée là. Toutes ces décisions, qu’elle jugeait bonnes, qui ne l’étaient peut-être pas tant que ça. Mais qui ne méritent pas, en tout état de cause, la vendetta que son propre peuple semble mener contre elle. Elle n’a rien vu venir. Même si elle aurait dû, en y repensant. Quantité de petits détails qui auraient dû lui mettre la puce à l’oreille. L’apparition de graffitis étranges, ses propres sergents qui discutaient ses ordres par principe, la froideur grandissante de bon nombre d’entre eux, les protestations lors de quelques unes de ses décisions, les campagnes de dénigrement personnelle… La libération d'Alderak rendue possible parce qu'elle avait fini par changer d'avis sous la pression populaire. Tout ça. Et tout le reste. Mais elle était trop occupée à élaborer des stratégies de sortie, pour les garder vivants, pour leur assurer un avenir, à tous, pour assurer leur sécurité… Elle avait quantité d’autres choses à faire que de se pencher sur tous ces signaux qui auraient alerté bon nombre d’autres dirigeants. Se préoccupant plus de leur bien être que de sa popularité, elle n’avait pas vu venir la fronde.
Depuis sa lutte avec le Joker, rien n’était plus comme avant, de toute façon. Son alter-ego qui se faisait la malle, qui prenait son indépendance même, son peuple qui ne la suivait plus, les autres commandants qu’elle comprenait de moins en moins. Qu’elle méprisait même, pour bon nombre d’entre eux, pour leur inconstance, pour leur manque de courage, pour leur manque de volonté.
Pour leur silence.
C’était la seule chose qui ne changeait que peu, finalement, d’une galaxie sur l’autre. Ce putain de silence. Cette inertie. Ce manque… d’envie, tout simplement.
Et c’est elle qu’on mettait sur la sellette !
Sans qu’elle s’en rende compte, ses doigts avaient serré le lavabo un peu plus à chaque minute qui passait. Et celui-ci avait décidé de ne plus supporter la pression. Il éclata sous la poigne de l’ex-commandante, se répandant en une dizaine de débris de porcelaine sur le carrelage usé.
Cela la fit revenir à elle.
Elle secoua la tête, arrêta l'eau, s’écarta d’un pas, ferma les yeux et fit quelques gestes d’une main. Les morceaux se réagencèrent et le lavabo fut comme neuf en quelque secondes. Enfin, peut-être pas comme neuf, mais entier à tout le moins…
Elle entra dans la douche, et reprit le fil de ses pensées sous le filet d’eau chaude intermittent. Comment en était-elle arrivée là ? Pourquoi toute cette colère bouillonnait-elle en elle ? Elle avait été le porte-flambeau de la lumière, en quelque sorte, en une époque lointaine et révolue. Et elle avait glissé petit à petit. Déception après déception. Trahison après trahison. Elle n’était pas blasée. Elle était au-delà de ça. Elle se sentait… vide. Oui. C’est le seul mot qui lui vint à l’esprit. Vide. Elle avait perdu tout espoir de voir la situation changer, de voir les mentalités évoluer, et elle qui ne pouvait mourir, arpentait à présent cette vie qu’elle ne pouvait quitter d’un œil détaché.
Jusqu’à ce jour béni. Il avait suffi d’une allocution en Assemblée, et son cœur s’était embrasé.
Elle s’était perdue dans ces pupilles vertes, n’écoutant même plus les mots qui sortaient de cette bouche si fine. Le discours en lui-même n’avait plus aucun sens pour la rouquine, plus aucune importance. Seuls comptaient ces yeux doux, ses lèvres sensuelles, ce cou gracile, sa voix, ses cheveux, sa silhouette. Elle était restée comme pétrifiée pendant ce qui lui avait paru une éternité. Il ne s’était en fait écoulé que quelques secondes, mais ces secondes-là restèrent à jamais gravées dans son esprit.
Elle essaya un temps de se persuader que ce n’était qu’une illusion, un simple désir charnel, qu’elle était restée en stase durant une très longue période et que ses hormones étaient en effervescence. Elle eut beau se le dire et se le répéter, elle finit par abandonner et s’avoua la vérité. Elle l'aimait.
Elle pensait à elle chaque jour, en rêvait souvent la nuit, cherchait à la croiser, même de loin, même sans rien dire, se retrouvait muette lorsqu’elle était placée en sa présence, incapable d’aligner deux mots cohérents. Elle, Olorìn, la reine de la harangue. Muette devant une petite silhouette blonde aux yeux verts. Mais une petite silhouette qui la faisait chavirer.
Elle se souvenait encore de leur première conversation anodine, de leur premier rendez-vous, si frustrant pour elle, et pourtant si lumineux dans son souvenir, de chaque effleurement qui lui embrasait les sens.
Il n’avait, finalement, suffi de presque rien pour illuminer sa vie. Elle retrouva sa joie de vivre, ses convictions, le goût de se battre, de pardonner à Ruby. Elle se sentait pleine à nouveau et n’attendait qu’un mot, un geste, un regard de la part de son amour pour goûter pleinement ce qu’elle devinait être son bonheur. Seule ombre au tableau : l’objet de son désir n’était pas disponible. Mais la rouquine était patiente. Et elle espérait bien un jour la déciller à propos de l’être infâme sur lequel elle avait jeté son dévolu.
Bien sûr, elle la perdrait un jour. C’est le lot de tout être immortel que de voir les personnes aimées disparaître. Mais avant cela, il y avait tant à vivre !
Un jet brûlant la ramena à la réalité de sa condition. Les rêves étaient doux et chauds, mais pour le moment, elle se trouvait à mille lieux d’elle, sans possibilité de la contacter. Son amour avait promis qu’elle reviendrait vite, et à ce moment-là… Il fallait qu’elle trouve le courage de lui parler de tout ça. De lui ouvrir son cœur de manière pleine et entière. La rouquine n’avait aucune raison de craindre sa réaction.
Olorìn sortit de la douche, une serviette enroulée autour d’elle et cherchait dans son sac des affaires à mettre, lorsqu’un coup sec résonna à la porte de sa chambre. Elle fut immédiatement sur ses gardes. Chaque muscle tendu, prête à se battre s’il le fallait, elle se dirigea à pas de chat vers la porte et posa son oreille contre la fine cloison. Rien. Pas un bruit. Elle fit jouer la serrure de la porte, fit tourner lentement la poignée, prête à tout. Mais le couloir était vide. Ou presque.
Il n’y avait effectivement personne de l’autre côté de la porte, ni groom, ni client hébété, ni commando surarmé prêt à en découdre. Une simple enveloppe était posée sur le seuil.
Après une ultime vérification des lieux, elle récupéra d’un geste leste la missive et la tourna entre ses doigts. Pas d’adresse d’expéditeur. Un simple « Olorìn » tracé à la main sur le vélin.
Elle inspecta l’enveloppe sous toutes ses coutures, ne trouva rien d’inhabituel, ou de dangereux, et entreprit de décacheter la lettre. Elle sortit le fin papier, le déplia et en commença la lecture. Son cœur manqua un battement en reconnaissant la douce écriture penchée de son amour.
La lettre était de sa main apparemment.
De sa Lyra.
« Ma si chère amie, ma douce et tendre Olorìn,
« J’ai longtemps hésité à vous écrire. Vous n’êtes pas sans savoir qu’un autre que vous habite mon cœur. Et ce dilemme déchire ma poitrine. Je me sens écartelée entre vous deux, et longtemps je n’ai pu me résoudre à faire un choix. Même à présent, rien n'est sûr. Une seule chose est certaine : je vous manque certainement. Peut-être même cruellement.
« Je me trouve actuellement devant les ruines de l’Assemblée de Crépuscule. J’ai enfin atteint le bout du chemin. Je vous attendrai nuit et jour au pied de Cassandre. Je ne compte pas bouger.
Alors, je vous le demande, mon amie si particulière, ne tardez plus et venez me rejoindre, venez me retrouver. J’ai l’esprit vide sans vous. Je me sens aveugle. Venez me rendre la vue. Je tiens à combler toutes vos prochaines nuits d’insomnie.
« Lyra »
Dans les minutes qui suivirent la lecture de la dernière ligne, la chambre était vide.
Cdt. Olorìn...
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19/10/1019 ETU 19:30
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Il ne lui avait fallu qu’un instant pour rassembler ses affaires et quitter la chambre glauque qu’elle occupait. Elle mit en revanche beaucoup plus de temps à rejoindre le spatioport privé dans lequel elle avait stationné son furtif. Et encore plus de temps pour négocier avec le gérant la somme astronomique qu’il lui demandait pour ne pas parler de sa venue et lui rendre son véhicule.
Elle envisagea un instant de le griller sur place. Cela résoudrait bien des problèmes, mais laisserait des traces indubitables de son passage… Sans compter le fait qu’elle ne s’était pas encore résolue à faire d’innocentes victimes, contrairement à ce qu’on semblait lui reprocher.
Elle bouillait intérieurement de reprendre la route pour se rendre dans cette galaxie morte où l’attendait sa bien-aimée. Elle prit donc sur elle et versa au requin humanoïde la somme qu’il réclamait. Même si elle ne doutait pas qu’il la trahirait à la première occasion venue. Peu importe, à ce moment, elle serait loin et lui ne savait pas où elle se rendait. Si elle arrivait à partir un jour…
Une fois à bord de son furtif, elle jeta ses affaires sur une banquette rudimentaire, enclencha le navigateur de vol ainsi que tous les autres instruments auxquels personnellement je ne comprends rien, mais qu’elle semble, pour sa part, connaître sur le bout des doigts. D’un autre côté, c’est son vaisseau. Pas le mien.
Puis l’engin prit enfin son envol dans le ciel mordoré de cette fin de journée.
Une fois à distance raisonnable de la planète qu’elle venait de quitter, elle programma le pilote automatique sur la galaxie défunte si bien nommée Crépuscule. Puis elle s’étira, sortit la lettre de Lyra qu’elle avait remisé contre sa poitrine et la relut encore une fois. Elle passa outre le vide qui semblait habiter son estomac à chaque lecture, l’attribuant à l’excitation de la revoir si prochainement, et se laissa bercer par les mots tracés de sa main. Puis elle ferma les yeux un instant, l’imaginant à ses côtés, lui tenant la main, sans un mot, lui souriant. Elle sentit presque le contact de ses doigts si fins, de sa peau si douce. La rouquine rouvrit enfin les yeux sur un habitacle désespérément vide. Mais plus pour longtemps. Quand elle repartirait de l’ancienne capitale, elle ne serait pas toute seule. Elle le savait. Il ne saurait en être autrement.
L’avenir lui donnerait raison, même si la compagnie qu’elle obtiendrait n’était pas celle attendue.
Olorìn finit par se lever du siège de commandes, vérifia une dernière fois le pilote automatique, se dirigea vers ses quartiers, prit une douche rapide et s’allongea sur le lit moelleux qu’elle avait pris soin d’installer lors de l’aménagement du vaisseau. Voyager ne l’ennuyait pas, elle aimait ça. Mais elle aimait plus que tout son petit confort, et une bonne douche et un bon matelas faisait partie du lot.
Allongée sur le dos, les bras repliés sur sa poitrine, elle regardait le plafond, songeuse. Un léger sourire lui monta aux lèvres lorsqu’elle se remémora les paroles de son alter-ego, Ruby. Celle-ci lui avait conseillé d’accrocher un miroir au plafond. En prévision d’éventuels ébats. Elle lui avait promis « qu’elle kifferait », selon ses propres mots. Et elle devait bien reconnaître qu’au moment présent, l’idée lui paraissait intéressante. Tellement loin d’elle-même, mais terriblement séduisante par la même occasion. Ou même en raison de cela.
Elle ne sut répondre à cette question, mais n’en eut pas vraiment l’occasion non plus. Épuisée par une fuite sans relâche, par d’innombrables nuits dans des hôtels miteux, elle s’endormit profondément, et en peu de temps.
*    *
*
Finalement, le voyage avait été plus rapide que prévu.
Elle se tenait à présent sur le sol dévasté par l’apocalypse d’une planète morte. La Défunte Capitale d’une Défunte Galaxie. Encore une. Mais elle ne s’en souciait guère, à présent. Une seule chose lui importait : Lyra.
Elle ne mit que quelques secondes à aller de la plaine carbonisée à l’entrée de la place centrale sur laquelle se trouvait l’entrée de l’ancienne Prestigieuse Assemblée. Ainsi que la statue de Cassandre. Du moins, c’est l’impression que cela lui donna. Perdue dans ses pensées tournant à vive allure, toute notion de temps lui échappait.
Arrivée en vue de la statue massive, Olorìn marqua un temps d’arrêt. Une boule de métal en fusion naissait dans son ventre, et rien n’arrivait à la faire disparaître. Elle ne voyait que le dos de la statue dans le soleil couchant, et la place en elle-même irradiait d’une couleur flamboyante, semblant recouverte de reflets rouge sang et d’une lumière irréelle. Un vrai décor de carte postale post-apocalyptique. Mais de là où elle se trouvait, nulle trace de sa si précieuse et si chère Lyra.
Elle s’approcha lentement, tentant à chaque pas d’empêcher son cœur de bondir hors de sa poitrine pour aller retrouver celle qu’il aimait. La rouquine essayait à chacun de ses pas de se donner une contenance, de composer sur son visage une expression qui n’exprimerait pas tout l’amour qu’elle éprouvait, de trouver un juste milieu entre le feu d’artifice naissant dans son ventre et ce que le protocole exigeait de retenue.
Elle ne sut jamais si elle y était vraiment arrivée.
Une fois parvenue à hauteur de la statue, Olorìn en fit le tour et se figea sur place, le temps lui-même semblant suspendu, et n’attendant qu’un geste de la rouquine pour reprendre son cours. Lyra était là, juste devant elle. La scène lui apparut dans tous ses détails. Ses pieds nus pour on ne sait quelle raison, sa main aux doigts si fins et à la peau si douce, sa silhouette menue, sa tête légèrement penchée, ses cheveux blonds accrochant les derniers rayons de soleil et semblant la nimber d’une aura de sainte martyre, le tout dans une sorte de brume esthétique estompant les détails pour mieux les magnifier.
La rouquine ne bougea plus et contempla le spectacle.
Puis Lyra leva la tête, et le charme fut rompu. Le temps reprit son cours et la rouquine se retrouva sans voix. La Reine de Galathée eut un sourire amusé. Et sa voix avait toujours la clarté du cristal.
« Si vous ne savez pas quoi dire, vous pouvez toujours commencer par bonjour... »
La rouquine s’ébroua, et rougit jusqu’aux oreilles.
« Bonjour, pardonnez-moi. C’est juste que vous étiez... »
Le silence tomba entre elles tandis que la magicienne cherchait ses mots. Lyra ne l’aida en rien, se contentant de ramener ses jambes contre elle, posant son menton sur ses genoux. Elle pensa l’encourager avec un
« Oui ?... »
mais cela fut pire encore et tout vocabulaire quitta l’esprit de la jeune femme. Elle finit par avancer vers sa bien aimée en lâchant un pathétique et inaudible
« Magnifique. Vous êtes magnifique.
- Merci. »
Lyra semblait amusée et cela ne fit que renforcer le malaise de la nouvelle venue. Cette dernière décida de s’asseoir contre le pied de la statue, assez proche de la Reine blonde mais pas trop non plus pour ne pas donner l’impression de la serrer de trop près. Ce fut Lyra qui s’approcha, collant son avant-bras contre le sien.
Les deux femmes restèrent silencieuses tandis que le soleil fatigué continuait sa course vers son refuge nocturne.
Ce ne fut que lorsque la pénombre envahit la place que la rouquine se décida à parler.
« J’ai reçu votre mot, et…
- Oui ?…
- D’abord, comment avez-vous su où me trouver ? »
Lyra sourit, comme on le ferait avec un enfant un peu lent.
« Est-ce vraiment la question que vous souhaitiez me poser ? Est-ce vraiment important, après tout ?
- Non.
- Alors, posez-moi la vraie question. Celle qui vous brûle les lèvres. »
La rouquine resta silencieuse. Ouvrit la bouche. La referma. La rouvrit, et parvint difficilement à émettre des sons audibles.
« Pourquoi une telle lettre ? Pourquoi maintenant ? Et que veut-elle dire ? »
Lyra soupira.
« On va dire que vous ne pouvez pas faire mieux, hein… C’est donc si difficile pour vous d’exprimer simplement vos sentiments ?… Mais soit. Je vais répondre à ces questions. Je vous ai écrit une telle lettre parce que vous me manquiez. Terriblement. Vous avoir auprès de moi, pouvoir vous parler, rire ensemble… Vous toucher.
Pourquoi maintenant ? Je n’ai pas de réponses précises à ce sujet. Toujours est-il que mieux vaut tard que jamais, n’est-ce pas ? » Elle appuya sa réponse d’un autre sourire radieux.
« Et enfin, que veut-elle dire ? Rien d’autre que ce qui est écrit, mon amie. J’avais besoin de vous, je vous l’ai dit, vous êtes venue. C’est tout ce qui compte, non ?
- Non... »
Ce n’était qu’un murmure, mais Olorìn ne parvint pas tout à fait à cacher toute la détresse qu’elle ressentait dans la prononciation de ce simple mot. Lyra se tourna vers elle, se mit à genoux devant elle et lui prit les mains, capturant le regard émeraude au fond de ses yeux bleus.
« Olorìn… Ma si précieuse amie… Je suis désolée si vous vous êtes fait des idées, mais… Mon cœur appartient à Alen. Vous le savez, et je ne m’en suis jamais cachée. J’ai toujours été claire avec vous. Je l’aime. Certes, il n’est pas très présent, et il ne reste que peu de temps auprès de moi. Mais il m’aime.
- Moi aussi. »
Les mots lui avaient échappés et elle se mordit la lèvre, baissant la tête. Puis elle se dit qu’elle ne pourrait sans doute pas rester muette toute sa vie et que certaines vérités se devaient de sortir. Elle releva donc la tête, la pupille brillante et une expression de défi au visage.
« Moi aussi, je vous aime. Mais moi, je suis là. J’ai toujours été là. Je suis là quand vous le souhaitez. Je sais disparaître quand vous préférez être seule. Mais je ne suis jamais loin et apparaît au premier regard que vous daignez me portez. Je vous aime plus en cet instant que tout ce que ce gueux ne pourrait jamais aimer si on lui donnait à vivre un million d’années ! »
Elle voulait continuer sur sa lancée, continuer à argumenter, à lui expliquer en quoi Alen ne valait rien, en quoi Lyra représentait tout pour elle. Mais les mots n’avaient qu’une portée limitée en cet instant, et lui paraissaient incroyablement banals en comparaison du brasier qui lui dévorait le ventre.
Elle fit alors une chose qu’elle ne se serait jamais cru capable de faire. Elle avança le visage, passa une main derrière la nuque de Lyra et l’embrassa, longuement et passionnément.
Et se passa alors une chose qu’elle n’aurait imaginé que dans ses rêves les plus fous : Lyra lui rendit son baiser. Tout aussi longuement, et tout aussi passionnément. Leurs mains furent timides au début, effleurant le galbe d’une cuisse, ou la courbe d’un sein. Puis se firent de plus en plus hardies au fur et à mesure que leurs baisers s’affermissaient. Puis d’un coup de rein, Lyra renversa Olorìn au sol, sa bouche ne se décollant à aucun moment de la sienne.
Et dans la nuit montante, elles firent l’amour, couchées sur le sable d’une Assemblée depuis longtemps muette, la lune restant indifférente à la communion de ces deux corps si longtemps séparés.
Le matin réveilla les deux silhouettes enlacées. Olorìn cligna des yeux dans la lumière matinale, un sourire épanoui aux lèvres, n’en revenant encore pas de la nuit qu’elle venait de passer, flottant en plein rêve. Son regard se posa sur le visage de la jeune femme, et elle écarta d’un doigt tendre une mèche de cheveux blonds. Lyra ouvrit les yeux et lui sourit en retour. Le monde semblait à sa place, et la rouquine était sur un petit nuage.
Les deux jeunes femmes finirent par se lever. Elles retournèrent dans le furtif, main dans la main, Olorìn arborant un sourire béat au visage. Puis ce fut le retour en Résurgence. Les tâches quotidiennes de deux dirigeantes, les déplacements, les réceptions, les sorties officielles, le tout nimbé de complicité, de tendresse et de sensualité torride. Même le quotidien paraissait extraordinaire aux yeux de la rouquine.
Cette nouvelle scène se passe dans les quartiers privés de la Reine Lyra, et toutes deux se préparent pour une sortie dont le but est complètement flou dans l’esprit d’Olorìn. Et qu’importe, après tout, puisqu’elles sortent toutes les deux. La rouquine posait comme toujours des yeux pétillants sur l’objet de son amour, tandis que la jolie blonde sortait de la salle de bains, une serviette enroulée autour de la taille. Mais tandis que Lyra s’approche de la rouquine, elle trébuche et se rattrape de justesse à l’un des meubles. Olorìn se précipite sur son amante, mais celle-ci la repousse doucement d’une main. Elle fait quelques pas, puis s’effondre à genoux, hurlant de tous ses poumons, portant les mains à son visage. La rouquine s’agenouille à ses côtés, murmurant de douces paroles, mais la dirigeante de la civilisation galathéenne semble en-dehors de toute atteinte, de toutes paroles. Son cri finit par se taire, et elle se penche au sol, les deux mains fermement plantées sur le dallage.
Olorìn lui caresse le dos, le temps que Lyra reprenne sa respiration. Cette dernière articule péniblement quelques mots.
« Que m’arrive-t-il ? »
Mais la rouquine n’a pas de réponses. Elle ne peut en avoir. Puis elle entend distinctement le bruit d’une goutte, puis d’une deuxième. Elle pense d’abord aux cheveux mouillés de son amie. Mais elle déchante rapidement.
Lyra relève le buste, et Olorìn a un mouvement de recul. Deux rivières de sang coulent des yeux de la jeune femme. Ses yeux se voilent d’un coup, et son corps s’arque brusquement en arrière. Son bras droit se plie en un angle improbable, et la rouquine entend plus distinctement qu’elle ne le voudrait le bruit sec des os se brisant.
La magicienne voudrait faire quelque chose, mais se sent impuissante. Elle ne comprend rien à ce qui arrive, et ne sait donc pas comment l’arrêter. Elle n’a pas encore compris que sa volonté ne peut rien faire contre ce qui se déroule en ce moment même. Elle ne peut qu’observer et hurler à l’unisson de son amour. Lyra semble avoir un répit, et sa tête aveugle se tourne vers son amie. Un semblant de sourire sanglant mais bienveillant semble se dessiner sur son visage, et une vague d’amour traverse la rouquine. Celle-ci ne peut plus se retenir, et les larmes se déversent sur ses joues, lavant au passage les éclaboussures de sang.
Puis le visage de la galathéenne fut pris d’une nouvelle convulsion. Son sourire se tordit en un rictus de douleur et la rouquine se précipita pour la prendre dans ses bras. Lui murmurer que tout allait bien se passer. Que ce n’était rien de grave. Et d’autres mensonges du même acabit qui n’étaient destinés qu’à celle qui les proférait. Puis un spasme plus violent que les autres agita le corps de Lyra, Olorìn sentit aussi bien qu’elle entendit la colonne se briser sous ses doigts, puis son amante sembla imploser dans son étreinte impuissante, maculant de sang et de tissus divers la magicienne qui hurlait encore.
*    *
*
Olorìn hurlait toujours quand elle se réveilla, bien à l’abri dans son lit, à bord de son furtif. Complètement désorientée, elle trébucha en se levant et s’écroula sur le sol froid. Elle peina à reprendre ses esprits, tandis que la réalité s’imposait à nouveau à elle. La fin de son rêve lui revint nettement, et elle se précipita vers les sanitaires, mais une crampe lui broya l’estomac et elle tomba durement à genoux, vomissant sur le carrelage de la salle de bains. Elle bascula sur le côté, tandis que la pièce entière se mettait à tourner autour d’elle, vomit à nouveau, puis perdit connaissance.
Cdt. Olorìn...
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02/04/1020 ETU 15:33
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La sensation de froid sous sa joue finit par lui faire reprendre ses esprits. Toujours allongée au sol, la tête collée littéralement au carrelage, elle garda les yeux fermés et tenta de calmer la tempête qui se déchaînait sous son crâne. Posément, elle fit le point dans son esprit. Le rêve qui lui avait retourné l’estomac lui revint peu à peu, tandis qu’une pointe de lumière cognait à sa paupière. La rouquine se décida à ouvrir enfin les yeux, se soulevant péniblement par la même occasion. Le carrelage maculé devant elle lui souleva à nouveau le cœur et elle réprima avec peine un nouvel hoquet nauséeux. Elle se découvrit incapable de se lever.
Elle bascula sur les fesses, se poussant des talons contre le mur de la salle de bains aménagée, et contempla le désastre devant elle, tout en essayant de reprendre contact avec la réalité. Le sol dur et froid l’y aida un peu.
Elle rationalisa.
Ce n’était qu’un rêve. Un cauchemar, même plutôt. Mais un simple cauchemar quand même. Qui n’avait pas plus de substance que… que… La comparaison lui échappa sur le moment. Mais il n’avait aucune consistance, ni aucune réalité. Point. Et même si les choses lui avaient paru réelles, elles n’en demeuraient pas moins une projection de son cerveau fatigué en un moment de stress. Et pourtant…
Pourtant, cette souffrance… Cet élan de compassion qu’elle avait ressenti à la fin… D'amour, même peut-être...
Olorìn secoua la tête. Tout ceci était ridicule. Si la liaison qu’elle avait entretenu en pensée avec son amour n’était qu’illusion, alors le reste aussi. La cristallisation de ses peurs les plus enfouies.
Tandis qu’elle faisait un effort pour se remettre sur ses pieds, s’aidant en cela par le mur derrière elle, elle se concentra sur le début de son rêve, et esquissa un pauvre sourire à la pensée de ses retrouvailles imaginées. Mais le visage défait et sanguinolent de Lyra ne lui laissa pas une seconde de répit et s’imposa presque immédiatement. Son esprit lui-même ne lui laissait point de repos. Il ne lui offrait de charmantes visions que pour mieux les détruire ensuite.
Elle secoua la tête, tenta un pas en avant. Tint sur ses jambes. Essaya un autre pas. Et se dit que tout devrait bien se passer. Le moment de faiblesse était passé.
Son regard se posa sur la salle de bains. Un sacré ménage l’attendait. Super. Rien de mieux avant un rendez-vous galant…
Sur un petit soupir, elle se passa de l’eau sur le visage, en avala quelques gorgées pour apaiser sa gorge meurtrie, vérifia le pilote automatique, attrapa le matériel de nettoyage dans un placard proche et se mit au travail. Il lui restait quelques heures avant d’arriver à destination. Largement de quoi nettoyer, reprendre une douche et prendre soin d’elle avant de débarquer.
*    *
*
Le furtif se posa en douceur dans la plaine dévastée, non loin de la place centrale de l’Assemblée Galactique de Crépuscule. Le sas s’ouvrit, la rampe se déploya, et la jeune femme en descendit. Contrastant avec les robes qu’elle affectionnait lors de ses rendez-vous, elle avait choisi pour l’occasion un tailleur pantalon noir, qui soulignait ses formes féminines malgré un costume plutôt masculin. Tenue qui contrastait fortement avec la robe qu’elle portait dans son rêve. Et sans doute choisie pour cette raison, bien qu’elle ne l’aurait jamais avoué.
Le paysage, lui, n’avait fait aucun effort pour la soulager et restait tel qu’elle l’avait imaginé. Le sol dévasté, les abords de la place calcinés, les bâtiments en ruine et prêts à tomber pour certains.
Elle fit quelques pas, les cendres voltigeant sous ses pieds à chaque nouvelle enjambée. Où que tombât le regard, la mort vantait sa victoire. Les arbres n’étaient plus que des mains noircies aux doigts tordus griffant les cieux, les cailloux étaient eux aussi carbonisés, réduits en poussière ou vitrifiés sur place. Et pas un bruit ne pouvait être entendu. Pas un oiseau, pas un insecte. Rien. Le néant le plus total.
La rouquine réprima un petit frisson et sentit une boule naître au creux de son ventre.
La boule doubla de volume lorsqu’elle pénétra sur la place, derrière la statue de Cassandre. Les similarités avec son rêve étaient troublantes. Elle marqua un temps d’arrêt, hésitante, se reprocha sa propre superstition, secoua la tête, tenta d’accrocher un sourire éclatant à ses lèvres, échoua pitoyablement, et se décida enfin à avancer à nouveau. Un pas. Puis un autre. Et encore un autre. Et la boule qui grandissait au creux de son estomac. Et le dos de la statue devant elle, qui semblait la narguer. Et le soleil couchant qui ne semblait flamboyer que pour mieux se rire de sa détresse, affichant de toutes part cette clarté rougeoyante qui semblait nimber les lieux de sang.
Olorìn arriva à quelques pas de la statue.
Et un nuage passa, masquant provisoirement cet éclairage d’outre-tombe.
La jeune femme sentit la boule au creux de son ventre tripler de volume et emporter son estomac sous ses talons. Elle s’arrêta net.
Les teintes rouges-bruns qu’elle distinguait n’étaient en rien dues au soleil. Ni à l’éclairage. Partout, aux alentours de la statue, des flaques de sang séché clamaient sa défaite. Des litres de sang. À ce moment-là, elle sut.
Elle sut de manière certaine ce qu’elle allait trouver, ce qui l’attendait au bout de ce macabre rendez-vous.
Elle déglutit péniblement, secoua la tête, refusant la fatalité, songea l’espace d’un instant remonter dans son vaisseau et repartir sans rien savoir. Puis elle serra les poings. Et avança.
À chaque pas, elle découvrit un peu plus de détails. Un éclat d’os ici, une chaussure méconnaissable sous un fourré calciné, un morceau de chair arraché… Et du sang. Tout ce sang. Maculant chaque centimètre carré à mesure qu’elle s’approchait du centre du massacre. Puis elle finit par la trouver, quelques pas devant elle, près du socle de la statue, à quelques centimètres au-dessus du sol.
Elle reconnut sans peine, même de dos, les cheveux blonds et la tresse. Elle s’arrêta sur place, encaissant le choc, tel un poing en plein plexus, retint un hoquet, une main se levant vers sa bouche. Des larmes explosèrent dans ses yeux. Mais pas un son ne franchit ses lèvres. Pas une exclamation, pas un mot, pas un gémissement. Rien. Elle était au-delà de ça.
La rouquine ne comprit pas tout de suite ce qu’elle regardait, tout en sachant avec certitude qu’il s’agissait de sa bien aimée. Elle avança encore de quelques pas, voulut voir son visage. Et comprit enfin. Vit la tête de Lyra, et le court pieu sur lequel elle était fichée. Les deux trous noirs à la place des yeux. Les rivières de sang séchés sur ses joues. Et le rictus de douleur crispant encore ses traits.
Ses jambes se dérobèrent sous elle et elle s’écroula devant son amour, à genoux, les yeux remplis de larmes, le buste s’inclinant légèrement d’avant en arrière, refusant la réalité, puis acceptant son échec. Ne pas avoir su la protéger. Ne pas avoir su l’éloigner. Ne rien avoir fait. Être restée en retrait. Puis ses pensées s’effacèrent devant la douleur, les pensées conscientes disparurent. Et elle ne fut plus que détresse, souffrance et désespoir. Les larmes continuèrent de couler sans qu’elle en ait conscience, tandis qu’un long gémissement inarticulé franchissait enfin ses lèvres. Dans un coin de son cerveau, la raison de tout cela lui apparut. Net, limpide. Logique. À la détresse s’ajouta la haine, à la souffrance la vengeance.
Le gémissement se transforma en un long cri rauque et inarticulé, tandis que des éclairs naissaient de nulle part et frappaient au hasard la planète maudite.
C’est ainsi que l’Apocalypse de Résurgence la trouva, hurlante au milieu des décombres, face au cadavre de celle qu’elle aimait.

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