Une émission dirigée vers l'Assemblée. Pas d'image et un son de qualité discutable, proche de celui d'une antique radio pirate. On peut entendre deux voix. Deux hommes. Tous deux très excités.

"Et là ? Est-ce que ça fonctionne ?

- Docteur, attendez. On émet mais...

- Non non : regardez ! Le densificateur de répercussion n'est pas bien aligné. Si on émet c'est une erreur, tout le secteur peut nous tracer. Tenez ça un moment, je vais..."

Les grésillements l'emportent sur les voix, un court instant on entend plus que du bruit blanc. Puis à nouveau les voix, plus clairement maintenant.

"Et voilà, ça devrait être..." Silence, un bruit sourd, le genre qu'on entend lorsqu'on met un gros coup de pied dans une poubelle. Le fameux "docteur" apparaît alors : un petit homme moustachu et aux cheveux gris, calvitie bien entamée. Il porte une blouse blanche, ouverte sur une chemise de même couleur. Son assistant est le genre grand dégingandé, pantalon cargo et chemise kaki aux manches retroussées. Il porte un béret rouge et un fusil en mitrailleur lui donnant plus l'air d'un milicien que d'un laborantin. Comme pour confirmer cette impression, le scientifique se met face à la caméra, joint les mains devant lui et, avec un accent des plus chantants, lâche son "Bien le bonjour camarades d'outre-espace !" le plus joyeux.

"Ah ! Vous ne pouvez pas savoir depuis combien de temps nous attendons ce jour ! Et vous ne pouvez pas non-plus imaginer comme je suis honoré d'être celui à engager le contact avec vous. Je suis le professeur Volverne, et voici Jeremiah, mon assistant, gentiment prêté par l'Armée de Révolutionnaire de Libération avec le gros du matériel sur lequel j'ai pu travailler. Nous  diffusons depuis le Griffon, quadrant cinq deux zéro zéro, cinq heures référentiel local...

– Docteur, je ne suis pas sûr que ces gens sachent à quoi vous faites référence…

– Habile, Jeremiah. Mais je disais surtout ça pour l'audiolog." Il se racle la gorge et frappe ses mains l'une contre l'autre. "Quoi que j'imagine qu'ils doivent en avoir une petite idée après tout c'est de cette Assemblée qu'a été émis le signal, non ?" Question était strictement rhétorique. Il pivote vers l'Assemblée et s’empresse de reprendre. "Il est évident, chers camarades, que nous vous devons beaucoup. Grâce à ce signal nous avons pu structurer notre colère et renverser la tyrannie injuste qui nous assujettissait jusque-là. Toute la Commune vous est redevable. Quand nous avons capté ces schémas de technologie PRL nos chances de victoire ont été égalisées avec celles de l'Armée impériale et... Même si je ne peux qu'imaginer les buts de ce signal, je dois dire le nom d'Odyssée est bien choisi, nous concernant."

Il en resta d’abord là, son visage se rembrunissant un peu alors qu'il semblait réfléchir à comment aborder la suite des opérations. Quelque-chose dans son regard, fuyant, trahissait une inquiétude terrible.

"J'ai été chargé par la commune de développer une méthode pour communiquer avec la source du signal - rien de bien compliqué, il suffisait de modifier des ansibles - et d'engager un premier contact. C'est désormais chose faite. Ainsi donc passons aux détails plus techniques. Nous sommes la Commune Révolutionnaire de Novoyevsk, et nous venons en paix. Évidemment. Nous ne voulons que ça, la paix. Nous espérons... Eh bien pour être honnête avec vous nous espérons pouvoir vous demander de l'aide. Des conseils, plus précisément. C'est tout le but de notre démarche.

Nous avons cruellement besoin d'aide."

Les yeux du docteur se remplirent de joie lorsqu'il devint évident que le premier des individus à avoir réagi était - lui aussi - un sacré fieffé communiste. Il fit aussi un effort sur lui pour ne pas grommeler quelques propos anti-impérialistes et militaire lorsque le colonel pris à son tour la parole : à cheval donné on ne regarde pas les dents, même si elles rappellent celles de l'Armée Blanche. Au moins les deux individus semblaient issus d'une culture comparable à la sienne. Fascinant. Volverne se promit d'étudier la question quand ses problèmes actuels seraient réglés.

"Merci. Nos problèmes son d'un ordre qui nécessiterait une aide technique. Cependant personne dans la commune ne semble en mesure de quitter notre région spatiale. Nos moteurs ne le permettent peut-être tout simplement pas, ou bien il s'agit de quelque-chose qui nous échappe ? En tout cas si vous avez la moindre information à ce sujet nous sommes preneurs." À côté de lui, Jeremiah acquiesça vivement.

– C'est exact. De manière générale il convient de constater l'évidence : nous ne connaissons pas grand-chose de la situation galactique ni même des règles régissant l'Espace. L'empire de Novoyevsk était furieusement décadent, hostile à tout contact, envahissant chaque monde croisé et handicapé par un retard technique terrible qu'une révolution – aussi bien menée fût-t-elle – ne saurait effacer seule. Bref. À l'heure actuelle la Commune ne peut même pas se permettre de réellement créer les infrastructures essentielles au bien-être de la population : routes, hôpitaux, logements communautaires décents et j'en passe. La guerre civile est terminée mais des… Des "Seigneurs de guerres", amiraux, généraux, officiers de pacotille à la tête des restes de la Contre-Révolution réactionnaire continuent d'assaillir nos frontières et de couper les lignes de ravitaillement entre nos mondes peuplés et ceux ne pouvant survivre sans leur soutien. La raison même pour laquelle ce laboratoire a été conçu dans un vaisseau dédié, au sein d'une flotte de guerre, c'est pour éviter qu'un seigneur n'essaie de s'emparer de nos technologies de communication à la première occasion.

Cette situation... Sera réglée. J'ai une grande confiance envers les hommes et femmes de Armée de Révolutionnaire de Libération. Ce n'est pas pour ça qu'on m'a urgemment demandé d'entrer en contact avec vous."

Il s'interrompit, un voyant venait de s'activer sur une espèce de console dans son dos. Jeremiah en approcha pour s'emparer d'un combiné téléphonique qu'il porta à son oreille.

"C'est l'amiral, docteur.

– Oh ! Eh bien allez donc voir ce qu'il veut.

– Je vous tiens au courant."

Il plaça une main au niveau de son cœur en un genre de salut, puis s'éloigna non sans un sourire un peu triste à l'intention de Volverne. Celui-là soupira en secouant la tête et fit claquer sa langue contre son palais avant de reprendre comme si de rien était.

"Nous avons besoin de savoir s'il est possible ou non de quitter notre secteur et s'il sera possible pour vous d'y entrer. De nous fournir une éventuelle aide matérielle ou militaire au moment venu. Enfin, le Commité Gouvernemental de Transition – qui assure le rôle de pouvoir exécutif tant que la crise n'est pas réglée – aimerait s'enquérir de l'organisation de l'Internationale Galactique." Il semble hésiter. "Ou du gouvernement galactique, appelez-le comme vous le désirez. Enfin, eh bien...

C'est ainsi. La Commune… Notre peuple tout entier a besoin de votre aide. Nous vous repayerons de toutes les manières envisageables. Nous enverrons les détails médicaux à vos experts. Je ne peux que vous remercier d'avance."

Il sembla hésiter, mais n'ajouta rien. Pas besoin d'en dire plus, non. Après tout pour ce qu'ils pouvaient en faire, les commandants d'Odyssée n'avaient pas besoin d'en savoir plus.

À nouveau une communication émanant des novoyeskiens. Ils utilisent toujours le même transmetteur et les mêmes codes d'identification mais quelque-chose dans la technologie en elle-même semble avoir changé. Peut-être ont-ils simplement amélioré leur technologie depuis leur dernière apparition.

Le professeur est bien visible au centre de l'image. Blouse fermée, traits tirés par une extrême fatigue. Son assistant n'est pas visible, mais on aperçoit deux soldats situés près de la porte du laboratoire, dans le flou de l'image. La salle est surchargée de machinerie indistinct, reliées entre-elles par des câbles donnant à la salle l'apparence d'une construction organique fossilisée.

"Bon cycle à tous, camarades. Je me permets de revenir vers vous pour vous faire, hm. Un rapport sur l'évolution de la situation sanitaire."

Il se force à sourire et attrape une pochette en carton qu'il ouvre lentement pour en extraire plusieurs documents agrafés entre eux.

"Nous avons reçu plusieurs messages de soutien et offres d'aide à l'ouverture du secteur, comme celle de la Fondation Mekteubé, ce qui nous rempli naturellement de joie et d'espoir. Plusieurs peuples ont aussi partagé leurs archives médicales avec nous. Je me permets notamment de citer les camarades moscovians auxquels nous sommes redevables tant l'aspect novateur de leurs propositions en la matière nous ont permis d'avancer en changeant le focus de nos études de terrain. Grâce à cette aide nous avons pu faire quelques avancées essentielles dans le traitement des effets de la maladie et dans la gestion de son confinement." Il se passa une main sur le front et reposa les documents sur une table avant de s'installer sur une chaise avec un soupire. Il y a une saute d'image, le professeur semble instantanément passer de debout à assis. "Nos avancées concernant les c͉̭͙̱̭̞a͇͈̞̱̫̼͔u͖se̥͖̬̖̖̯̝s̜̻̙̜̠̻ ̖̜d̻̫e l̰͈a̼͍̯̳̥ ma̜̩͖̞̰̞̜l̪̠̱a̖d͙̫i̭e̩̫̠̥̰ ̰͉̯̣̟͉͎restent cependant insuffisantes. Nous avons épuisé la plupart des causes possibles y compris les plus inhabituelles : malgré tout, nous av͝an͡ç̶o͠ns."

Il se tait. Il ne s'agit pas d'un silence d'emphase, d'un élément de discours. Il se tait car il est crevé, et n'a plus rien à dire. Il reste comme ça quelques secondes. L'image grésille un peu, du bruit parasite assaille brièvement les enceintes. L'image saute encore, sa qualité se dégrade. Des artefacts de couleur apparaissent partout sur l'écran. Seul témoin du passage du temps, la disparation d'un des deux gardes dans le fond de l'image. La salle semble moins éclairée. Peut-être est-ce lié à la dégradation de qualité.

"Enfin ! Rien ne sert de s’attarder là-dessus. Nous avançons dans la bonne direction et c'est tout ce qui compte."

Volverne se lève et commence à faire les cents pas. La caméra ne le suit pas, aussi lui arrive-t-il de disparaître de l'image.

"L̊a͐̆͒͊̈́ s̆ï͋̑t̛ͫ̆u͐ͫ̑ͧ͐̃̽aͩ͊̔͋̂t̔͗i͑̽̈́̀͋̆̀oͥ͑ͣ͛͊̓͞n̨ͦ͋̂ au sein du secteur étant toujours aussi incertaine et difficile pour nous, je viens aussi vous informer que nous avons commencés à stocker l'ensemble de nos protocoles expérimentaux, études et conclusions sur la maladie, s̏̍̄̐ͭͬes̍͛͑̆ ̑ͩͦ́c͆̑̊̌̇a̎̐̒̒̏̌̅u̓̈ͩs̎ͦ̽ͤͪͫ̓eͤͪͬ̅͊ͬsͥ̉̇ͬ̊ͫ͆,͗ ̆́̑̏̚s̓̒͆͑͊ͪy̌̓́̈́ͭ̍m͐ͭ͆͆̑pͣͮͬ͋ͯͣ̚t͘ôm͜e͠s ͡et l̷e̴s moy͞e̶n͝s̵ d̢e҉ l͝e̬͈̦̫͇̝̙s̲ ̲t̘̭̘̳̜̩r̖͇̹̳̞͍ͅa͓̭͖̜̖͚̝i̹̺̹͙̹t̬̫͕̞̱̬̥e̦rl̖͉ sein de balises que nous avons entrepris de disperser à travers les planètes habitables ou confier aux g̕҉̶o͝u͜v͝͠e̴̛r҉̶n҉èm̧͡͞e̶ņt͘s͢͜͠ ́́̕l̸̀́oc̡͘a̢u̡x͢ de manière à…" Il semble cesser de marcher. On devine vaguement sa silhouette tout à droite du cadre. "Eh bien si la Commune ne survit pas jusqu'à l'ouverture, nos recherches sur le sujet ne seront pas per͏du͜e̵s et ̨si҉ ̸l'é͟pd̶é̢͟m̀i͡e̵̕ ̷v͏e͟͠n̵̷ai̡t̶҉ ̨̧à̵͜͞ no͡u̸͞ś su̡҉͟r̞͙̭̪̻̮̞v̤͚̰͉̹̻̞̭̝͙ͅi̱͚̫̱͔v̗͉̫̭̠̻͖͚̳͚̘̲͈͔̞r̙̫̥̩̮͈̺͚̦̼̹̹̖̱̠͍̻ͅe̮̳̱̩..."

Et le professeur éclata d'un petit rire joyeux qui n'avait rien à faire là, secouant la tête comme pour signifier qu'il ne pouvait pas vraiment expliquer la blague. La qualité de l'image continue toujours et encore de se dégrader.

"C͠'est̢ c͜omp̵liq̨u̧é.̵ D͞i̸s͢o͢ns̨ ̨simp̨lemen͘t͜ q̧u͟e ͝no͝ùs͞ som͘me̷s҉ ͞e͜n҉ gu͢erre, et que la guerre n'évolue pas néçe҉s͢şai̶r̴eme͠ǹ̸͓̭̣t̶̫̟̥̫͚͕̳͇̕ ̕͏̯͈̬̘͙e̻̕̕͞n̛̮͎ ̢͚͍͙n̶͇͕̕ͅo̧̤̯̯̫t̤̜́ŗ̻͔͎͢e̝̬̮̪̬̙̫̖̕͢͞ͅ ̺͎̝̲̜f̴̸̦̟̲̳̜̟͙̬͝à͙̗̠̹͚̹v̷͖̳e͈̙̟ụr͏̸͚̝̯̹͠.͔̙̠͚̘̜̙̗͘͡ ͙̘̭̱H̶̸̞̦͙̩͚̞ͅm̷͖̠͉͕͚̦̰̙͘͝,҉̧͉͉̥̱̞̺̗ ̙̦̼̥́͡à̼̳̻̙̯̟ ̼̜͔̙͔̺͖̀c̺͔̤͢e̷̡̅̌̔̏ͦ̄̂͗̀ͪ͂̉̅ͩͥ̂̃ͣ҉̥̝͇̯̜̗͔̥͚̰͖̦̪̰ ̛̒ͨͣ́̆̂̈̓̿̏͊̄̅͘͟҉͚̪̥̙̞̭̭̰̟͖͎ͅp̐́ͥ͆ͧ͂̎ͫ̈͠͏̢̖̯͈̤̲̣̺̟̝̫͖̙̥͜r̵̴ͬͯ̉̂̔̓͑̓ͨͯ̀ͮͮͧ̆͊̏͋͝͏͔͍̪̹͚͢ͅǫ̛̲̞̬̩͇̱̮̭͕̪̮͓̱̥̆͐̌ͪ͊̋̓̇͑̆̑̓̊p̷̢̢̞̩̝͇͓͕̞̱̯̦̦̱̣̅͑ͫ̐̇̃͒̈̽̈́̐̊ͯ̋̒͒̈̅ͦͅo̷̶̡̭͉͕̰̠͎̗̤̦̯̣̤̥̟̫̩͉̻̒͌̈́ͥͬ̿ͣͦ̄̐̃̔͑s̶̢̙̮̝̘̣̃̔́̈ͪ́.̡͆̈̓ͥͫ̅ͬ͂͏͈̝̝̯͕̖̟̤̥͉͙͈̖̻̦̞͇͍.̴̸̢̢͖̦͉̬̘̳͕̦̯̣͚̩͙̲ͮ̇ͨ̚ͅ..̴҉̪̙̜..̵̦͉͙͇͔̳͙̯͠."

Le docteur n'ajoute rien. Rien d'audible en tout cas : le bruit blanc a totalement remplacé l'enregistrement, l'image est illisible.

Puis le silence.