Son doigt effleura l'écran de son holocom et la communication prit fin ; en quelques maigres phrases, Naiyeli s'était désaffublée de tout faux-semblant. Historiquement, l'Iconoclastie qu'elle représentait avait été un peuple marchand qui s'était paré des meilleures intentions, sous couvert d'une belle doctrine religieuse. Leurs idéaux étaient louables ; après tout comment pouvait-on douter des bonnes intentions d'un conglomérat qui disait vouloir lutter contre l'obscurantisme religieux et la vénération des icônes, un peuple qui d'apparence s'évertuait à chanter les louanges du Bon Dieu ? Mais cette époque était à présent échue, il était venu l'heure des Révélations. L'Iconoclastie, sous l'égide de son égérie Naiyeli, comptait se dévoiler au grand jour. Six jours et sept nuits durant, ils avaient désossé leur plus bel héritage, ces vaisseaux marchands qui avaient fait leur renommée à travers tout le secteur : leurs moteurs avaient été parasités afin d'offrir une puissance immédiate en combat, les flancs de ces navires gracieux avaient été éventrés pour y incruster canons et écoutilles. Les contrats financiers avaient été brûlés et leurs signataires crucifiés. Il n'était désormais plus question de traiter avec les riches éminences mais de fomenter avec les plus basses racailles. De toutes façons, leur doctrine avait ruisselé sur ceux qui avaient hissé la monnaie et les possessions au rang de divinité, ceux-là n'utilisaient la religion que pour leurs propres intérêts ; la parole religieuse ne prenait racine que chez les plus démunis : leurs désillusions avaient été si nombreuses qu'ils se noyaient à corps perdu pour une doctrine qui leur assurerait un morceau de pain.

Devenez vous aussi iconoclastes ou continuez de vous repaître des fonds de gouttière : la voilà sa doctrine, dans son plus simple appareil ! Il n'y avait pas de plus belle forme de vénération de Dieu que celle qui consistait à ensanglanter les ruisseaux, répandre cendres et cadavres sur les avenues et les boulevards. Dieu, dans toute sa miséricorde avait mis au point des armes de guerre, refuser de s'en servir c'était châtier son oeuvre. Ceux qui bâtissaient leurs empires soi-disant de manière pacifique étaient de la même trempe que ces prêtres qui violaient des enfants. Il était aisé de se convaincre que de petits écartes momentanés et sporadiques ne faisaient pas de vous de mauvaises personnes, mais beaucoup plus ardu de réaliser que ces légers débordements étaient ceux qui cristallisaient le mieux votre véritable essence. Naiyeli ne se berçait pas de telles illusions : elle savait qui elle était et s'assumait pleinement. La jeune femme était prédéterminée à creuser une fondrière et la remplir de larmes et de sang.

À présent qu'elle s'était révélée à son voisin, il semblait opportun de se dévoiler à la Galaxie entière. La jeune femme pinça son stylo entre ses lèvres - elle ne savait pas encore quelle tournure donner à son discours. Devrait-elle se montrer incisive dès le premier abord ? Ce serait certainement mal placé : avec le retard technologique accumulé sur les autres grandes nations souveraines, dès que l'occasion se présenterait d'autres ne se feraient pas louer pour lui bondir à la gorge. Peut-être était-il préférable de se montrer insidieuse et de gagner par la ruse la faveur d'un ou plusieurs mécènes qui veilleraient à sa protection, mais cela collait finalement si peu à son caractère que quelqu'un s'apercevrait bien vite de sa supercherie. Mais surtout, l'idée de se faire parjure lui donnait la gerbe. Elle inscrivit quelques graphes sur un morceau de papier puis, insatisfaite de sa prestation, déchira prestement celui-ci. Naiyeli était old-school, elle chérissait le grain du papier et la langueur d'une fine pointe bien aiguisée.

Après moult tergiversations, elle décida de la marche à suivre. Il lui semblait opportun de modérer son discours - elle comptait créer volontairement un malaise dans un premier temps et de se servir de celui-ci pour nourrir ses ambitions. L'iconoclaste excellait dans l'art d'endiabler son audimat afin que les pantins se meuvent et dévoilent leurs fils qu'elle s'empressait de saisir pour mieux les amadouer. Cette ligne décidée, elle déposa soigneusement son holocom sur l'autel et pianota sur les symboles qui virevoltaient devant elle. Quelques gestes plus tard et son bureau se retrouvait mis en liaison avec l'Assemblée Galactique. Étant donné le caractère secondaire de sa civilisation, encore inconnue aux registres, elle fut placée en liste d'attente : 60 000 autres allocutions la précédaient. Au vu de la cadence des bramements de certaines nations, elle se disait qu'il était plus presque plus facile de trouver une place pour le HeavenFest 1022. Trente minutes plus tard, sa position dans la file d'attente n'avait guère changé. Elle se résigna à regarder un film sur son holocom secondaire en attendant d'être placée. Ce n'est qu'au bout de deux heures qu'un avertissement sonore lui signifia son passage imminent. Son coeur se serra, mais son visage resta ferme. Son heure de Gloire était venue.

Vu.