Les premiers convois de femmes étaient arrivés sur la planète de Kara. Elle les avait elle-même accueillies et avait observé leurs yeux cernés, leurs mines soucieuses et leurs maigres bagages.

Sur le tarmac, des banderoles « Bienvenue dans votre nouvelle vie ! » et des tables dressées de victuailles et de boissons essayaient de les réconforter.

Le cortège des femmes, certaines raflant la nourriture et la cachant dans leurs effets, d’autres avançant vers les transports sans état d’âme, s’écoula sans incident.

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Kara se retrouva dans ses quartiers et appela Gus.

Kara s’étendit dans son lit froid, certaine que le sommeil tarderait à venir, mais certaine aussi que tous les événements de la journée la berceraient.

Le réveil au « village » fut marqué de grands fous rires. Le petit-déjeuner avait été servi aux nouvelles arrivantes par de jeunes garçons à peine pubères. Ils avaient été accueillis avec quelques gentils quolibets du style « Voilà mon fiancé ! » et titillés par des attouchements « maternels » ou des œillades appuyées.

Par la suite, chaque femme avait été appelée individuellement au Centre des Recherches Humaines pour subir les examens préliminaires à leur séjour sur la planète. Check-up physique, physiologique et psychologique. Puis un entretien professionnel les attendait pour les diriger vers telle ou telle activité citadine, minière ou agricole suivant leurs compétences et leurs désirs.

Kara était dans son bureau, devant le terminal où défilaient les résultats de ces analyses.

12 % bleues – 54 % vertes – 29 % jaunes – 3 % noires.

Les catégories étaient très claires et les femmes avaient reçu des vêtements blancs aux liserés de la « bonne couleur ».

Les « bleues » désignaient les femmes qui avaient peu de chance de procréer, soit à cause de leur âge déjà avancé, soit parce qu’elles ne désiraient pas d’enfant.

Les « vertes » étaient les plus prometteuses : elles étaient capable de fonder une famille, de concevoir.

Les « jaunes » étaient de toutes jeunes filles qui, bien qu’elles aient atteint leur maturité sexuelle, avaient besoin de temps avant d’être mariées.

Les « noires » seraient exilées sur les nouveaux mondes ou reconduites sur leurs terres natales. Elles présentaient trop d’anomalies physiologiques et/ou psychologiques, s’étaient rétractées lors de l’entretien ou encore avaient été contraintes de tenter cette aventure contre leur gré.

Kara, quant à elle, s’était habillée de bleu pour l’occasion. La Dirigeante qu’elle était ne désirait pas convoler sur ses terres, ni convoler du tout, d’ailleurs. Elle avait bien d’autres préoccupations.

Ce code de couleur était connu des hommes de son peuple. Ainsi, ils pouvaient courtiser les « vertes », mais pas les autres. Et seulement courtiser pour l’instant. Le temps ferait le reste.

Une jeune fille vêtue de blanc et liseré jaune se présenta, légèrement rougissante et intimidée.

Kara étudia la jeune fille et fut touchée par son courage et la force de son amour naissant. Même si elle se trompait, l’élu pouvait être fier !

Kara se dit qu’elle devait s’entretenir d’urgence avec cet Alex. D’un autre côté, la jeune fille était effectivement belle et elle n’avait pas encore le « code » sur elle ce matin.

La jeune fille baissa la tête, comme assommée par cette évidence.

La jeune fille tomba à genoux et baisa la main de Kara. Celle-ci la releva doucement et lui prit le visage.

Une fois la jeune fille sortie, les joues rouges et les yeux larmoyants, Kara se rassit derrière son terminal et tapa la dérogation.

Elle ferma ensuite les yeux.

La période probatoire était achevée. Les arrivantes, aux couleurs codées, avaient pris leurs fonctions dans diverses administrations, commerces, services et autres compétences. Les plaintes avaient été rares et ne faisaient état que de crêpages de chignons entre elles. Kara s’en félicitait. Au moins, elle n’avait pas à rougir de ses hommes !

Alex et Viane avaient été sages. D’autres jeunes couples avaient suivi leur exemple et ce n’était que pur bonheur de les inciter à l’amourette.

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Gus fondit en larmes. Elle l’avait appelé « mon père » et lui, il lui cachait tant d choses depuis si longtemps !

Kara demeura sans voix et laissa Gus se retirer sans essayer de le consoler. L’information était trop violente. Elle avait envie de réconfort, de se blottir dans les bras de son père… de son père ? Elle n’en avait plus !

Personne… Elle n’avait plus personne…

Les cycles passaient, les mois passaient. Le pourcentage de mariages augmentait, notamment chez les "vertes", mais aussi pour quelques "bleues" avec les plus âgés des hommes. Kara était sereine. Elle offrait pour chaque union, une habitation individuelle et une prime pour que le jeune couple puisse installer son intimité à son goût.

Puis il y eut le premier accident.

Kara se renversa dans son siège. Il fallait que ce ne soit qu'un accident ! La planète était viable, les indices clairement optimaux, les femmes étaient saines et en bonne santé. Qu'est-ce qui clochait ?

Après une légère accalmie de quelques cycles après le premier incident, Kara avait été soulagée. Cela n’avait malheureusement pas duré. Plusieurs grossesses avaient été interrompues depuis et cela n’allait pas en s’arrangeant.

Kara était effondrée.

Les dossiers sous les yeux, elle constata avec effroi que la compagne de Gus était décédée. Cette « bleue » qui lui avait donné son cœur et que Kara avait appris à aimer… Cette « bleue » qui l’avait apprivoisée, malgré son rejet primaire, à force de douceur et de dévouement… qui avait presque pris la place de son mari auprès d’elle… Elle n’était plus !

Il apparut au bout de quelques secondes. Kara constata que le chagrin l’avait vieilli et qu’il avait l’échine courbée d’un vieillard.

Il ne répondit pas tout de suite. Il avait la mâchoire et les poings serrés – de chagrin, pensait-elle – et elle voulut s’approcher de lui pour le prendre dans ses bras. Mais il la repoussa brutalement.

Et il sortit, laissant Kara la bouche ouverte et les bras ballants, tant cette haine la surprenait tout en ne la surprenant pas…

L'accusation de Gus avait fait son chemin dans le cerveau et le cœur de Kara. Depuis son enfance, elle faisait beaucoup de cauchemars avec le thème récurrent de la mort qu'elle provoquait d'un simple toucher ou d'un regard appuyé. Elle avait pensé que cela était dû à la puissance que tout enfant espérait en secret face aux adultes.

Elle se souvenait de la lueur de soulagement dans les yeux de son "père" quand il avait décidé de l'éloigner. Elle avait cru que c'était parce qu'il était soulagé de sa protection, elle avait cru que c'était pour elle !

Les mots étaient sortis de sa bouche. Pourtant, elle aurait juré n'avoir pas entrouvert les lèvres...

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Kara se soumit à tous les examens. Le panel complet que ses chercheurs pouvaient mener à bien : analyse ADN, scanner osseux, indices vitaux, sondage psychologique, étude souche de cellules variées.

Au bout de 48 heures, comme prévu, elle attendit les résultats avec une boule d'angoisse au ventre.

Elle attendit que le Professeur-Chef des Labos continue.

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De retour dans ses quartiers, Kara était abattue. Gus devait savoir quelque chose sur cette anomalie qu'elle se trimbalait mais depuis la mort de sa femme, il avait disparu.

Elle se résolut à envoyer un com-x...

Elle avait son doigt sur "envoi" et elle hésitait... Et si elle n'avait aucun avenir ? Et si elle était vraiment une abomination ?

Fallait-il qu'elle accepte la mort sans comprendre ?

Kara s'éveilla en sueur et le coeur compressé dans un étau. Quand elle consulta les derniers débats à l'Assemblée, elle entendit encore des critiques, des moqueries à son égard.

Elle se leva lentement et alla jusqu'à sa couche où elle s'étendit. D'un geste rapide et sûr, elle fit glisser la lame effilée de son poignard contre sa gorge.